Beyrouth : être unis de coeur et d’esprit !
Extraits d’une conversation avec Soeur Antoinette Assaf, responsable du Dispensaire St Antoine avec L'Osservatore Romano
« Un peu plus tôt, j'ai entendu une petite explosion. Je me reposais en faisant une petite pause au travail. Tout à coup, un gros rugissement. J'habite au cinquième étage d'un immeuble qui abrite le Dispensaire Saint-Antoine à Beyrouth », une zone pauvre où vit une population mixte de chrétiens et de musulmans. « Tout s'est effondré. Oh mon Dieu ! Que dois-je faire ? Objets et meubles sont tombés par terre. Nous avons commencé à courir. Est-ce qu'ils nous bombardent ? Pourquoi ? Pendant ce temps, j'entends de plus en plus d'explosions, des bâtiments s'effondrent, des fenêtres explosent. Au secours ! je vois du sang et des ruines partout. Ces images terribles ont réveillé nos mauvais souvenirs de la guerre et des bombardements, mais cette fois personne ne nous avait prévenus. Pendant ce temps, du ciel, s'élevait un énorme nuage de fumée noire mêlée de rose et de blanc. Nous avons commencé à appeler toutes les personnes que nous connaissons qui vivent dans la zone de l'explosion, près du port : amis, parents, collaborateurs, employés, bénévoles, bienfaiteurs ».
Sœur Antoinette Assaf, 53 ans, libanaise de Beyrouth, raconte à "L'Osservatore Romano" ce qui s'est passé mardi dernier. Un épisode terrible, le nombre exact de victimes et les dégâts causés sont encore inconnus pour le moment. Le « Pays du Cèdre » n’avait pas besoin d’un autre traumatisme de cette ampleur. La religieuse, responsable du Bureau de développement missionnaire de la Congrégation de Charité Notre-Dame du Bon Pasteur (Sœurs du Bon Pasteur) et directrice du dispensaire depuis 2016, avec ses sœurs, médecins, infirmières et bénévoles, offre gratuitement des soins médicaux spécialisés, et fournit un service de santé de base à environ 21 000 personnes.
Combien de personnes recevez-vous par jour ?
En moyenne environ 150 par jour, jusqu'à 7 000 par an. Depuis le début de la pandémie, nous avons tenté de limiter le nombre à environ 90 patients par jour pour éviter le risque d'infection. Dès le premier moment de l'explosion, nous étions disponibles pour aider, mais nous sommes un centre de soins de santé primaires, et toutes les victimes ont été emmenées aux urgences. Les gens viennent au Dispensaire, demandent de la nourriture et de l'aide, mais ils recherchent surtout quelqu'un qui puisse les écouter et comprendre la tragédie qu'ils ont subie ; des gens désespérés, traumatisés qui ont besoin d'un peu d'espoir. Et c'est notre première mission, essayer de les soutenir, de les écouter et d’être là pour eux.
Pourquoi Beyrouth ? Pourquoi au Liban ? Une ville et un pays où l'on retrouve une apparence de démocratie et où des personnes de confessions différentes vivent en paix et en harmonie ?
Il y a un manque de responsabilité à Beyrouth. Nous continuons d'espérer, même si le point faible du Liban est l'absence d'une vision commune du pays. Chaque groupe voit le pays à sa manière et nous n'avons pas été en mesure d'unifier cette vision. Nous prions pour que ce soit bientôt possible.
Combien de personnes travaillent au Dispensaire ?
Notre équipe comprend : 2 sœurs, 15 employés et 30 médecins. Nous avons plusieurs partenariats, notamment avec la Faculté de médecine de l'Université Saint-Joseph. Leur présence garantit un service médical de haute qualité, car cette université est dirigée par des pères jésuites avec lesquels nous partageons une même vision de la valeur et de la dignité de l'être humain, en particulier les plus vulnérables qui ont le droit d'accéder aux services de santé comme les riches. "une âme vaut mieux qu’un monde" disaient nos saints fondateurs, St Jean Eudes et Ste Marie Euphrasie Pelletier.
Qu’est-ce qui a et va changer dans vos apostolats au Liban ?
Nous allons continuer à faire ce que nous avons toujours fait : servir les autres. Nous cherchons à être une présence parmi les plus vulnérables et les plus défavorisés qui vivent dans des conditions précaires, en particulier les femmes, les filles et les enfants. Nous mettons tout en œuvre pour leur révéler l'amour miséricordieux de Jésus Bon Pasteur, par des actes de miséricorde, de soutien et de protection.
De quoi le Liban a-t-il besoin pour revivre ?
Tout d'abord, nous devons être unis de cœur et d’esprit. Nous devons nous soutenir mutuellement pour retrouver la force physique et psychologique nécessaires pour surmonter ce grand choc. Même avant l'explosion, plus de 55% de la population vivait déjà sous le seuil de pauvreté au Liban. Avec cette déflagration, la population est à genoux, sans abri, sans emploi, sans soins. Les jeunes ont beaucoup de potentiel et peuvent aider à reconstruire le pays, mais les opportunités sont limitées pour eux aussi. Le Liban ne peut faire face seul à d'innombrables problèmes de ce type.
Pensez-vous que l'aide économique de la communauté internationale est indispensable ?
Oui, bien sûr, parce que la crise économique majeure est évidente. Cependant, le Liban doit également devenir productif par lui-même et être capable de travailler pour son propre développement. Le chemin du rétablissement est long, très long.
L'Église catholique et les autres autorités confessionnelles peuvent-elles jouer un rôle décisif dans la renaissance du Liban, ou est-ce la tâche des autorités gouvernementales ?
L'Église et les autres autorités religieuses ont un rôle primordial, notamment parce que les Libanais sont des gens de grande foi. Je le répète : nous devons être unis de cœur, consolider la coexistence et la cohésion sociale. Les Eglises, de nombreuses organisations civiles, ONG, groupes interreligieux y travaillent et mènent de nombreuses initiatives depuis un certain temps. Je pense que sans ces contributions, la situation pourrait être encore pire qu’aujourd’hui. Mais ces actions n'excluent pas le rôle des autorités gouvernementales, qui ont également une grande responsabilité, car elles ont les solutions politiques entre leurs mains.
Si vous vouliez lancer un appel, à qui l'adresseriez-vous et que demanderiez-vous ?
Tout d'abord, un appel à la prière pour que les gens ne perdent pas espoir, mais puissent conserver leur foi en Dieu et espérer dans leur propre pays. Je crois que le peuple libanais est comparable à un phénix, capable de renaître de ses cendres après la mort. Et je fais appel à tous ceux et celles qui se soucient du Liban. Nous avons besoin de solidarité : des messages de réconfort et d'amour. Cela nous permet de nous relever. Et enfin le soutien économique, l'aide humanitaire et tout ce qui peut aider les personnes qui ont tout perdu sont vitaux.
Pour faire un don, rendez-vous sur www.gsif.it/emergencylebanon
par Francesco Ricupero
8 août 2020